Entre Utopie et Absurdie

De Paul Gonze
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MISE EN GARDE DISTRIBUÉE AUX ÉTUDIANTS DE L'ÉCOLE D'ARCHITECTURE HORTA

PRÉLABLEMENT A LA CONFÉRENCE

DONNÉE PAR PAUL GONZE AU THÉATRE DU PARC

La Sécurité de l’Etat signale qu’une fissure anomalienne s’est produite dans notre enveloppe de conformité par 50,50° de latitude Nord et 4,21° de longitude Est, dans la zone frontalière des bâtiments de Tour & Taxis.

Fidèles à l’héroïque tradition des Services Publics de notre Royaume, deux agents des Douanes ont accepté de compromettre quotidiennement leur santé mentale en demeurant sur les lieux du séisme. Leur mission est de prévenir toute personne s’approchant de ce no man’s land qu’elle risque d’être atteinte du syndrome d’Anomalie, encore appelé complexe de déconstruction anarchitecturale.

En conséquence de quoi, tout citoyen dont les défenses immunitaires ont été renforcées par notre cadre économique et notre système de sécurité sociale est instamment prié de ne pas s’approcher de cette source de perturbations.

Celui qui cependant pénétrerait dans la zone failleuse le fait à ses risques et périls et ne peut espérer aucun remboursement de la mutuelle.

Pour souligner l’ampleur du danger, il est important de signaler, à titre dissuasif, les principaux symptômes constatés chez les victimes de l’épidémie:

- une impression latente de pouvoir décoller du quotidien et voler au dessus de la réalité autant que dans sa tête ;

- une propension a construire des noeuds d’anomalie ou nids de métamorphose embrouillant nos grilles de référence (rentabilité, fonctionnalité, normalité) ;

- une perte du sens commun et en particulier une confusion croissante entre génie architectural et délire artistique ;

- un goût irraisonné pour la fête, et la tentation d’aménager, à cette fin, des lieux scandaleusement propices aux plaisirs de rêver et de vivre ses rêves...

- le noircissement des lobes des oreilles, leur élongation et, dans les cas extrêmes, l’acquisition du réflexe de les agiter comme si c’était des ailes.

On signale aussi que les malades ont tendance à se regrouper en nuées d’une vingtaine d’individus pour, en contravention avec notre culte de la personnalité, créer des énigmes collectives et gratuites échappant totalement aux lois du marché.

Toute personne souffrant de ces déviances est instamment priée de se faire examiner par les docteurs de l’Institut d’Epidémiologie HORROR VICTAT dans la nuit du 28 mars 1997.

Le bon public par contre est invité à rester ombiliqué à sa télévision car on prévoit, au cours de cette nuit, une alarmante recrudescence de l’activité anomalienne et même l’apparition de monstres ailés.

 

CONFERENCE

Entre Absurdie et Utopie

Récit d’errances en sous-terre d’Anomalie

 

Jeu de mots et d’images proposé par le Valet des Rêves de TOUT

dans le cadre du cycle de conférences sur l’Utopie

organisé par Architecture en Scène

et programmé pour le 10-03-97

au Théâtre Royal du Parc

 

Mise en bouche

 

Devant le rideau fermé, présentation par Luc Deleuze, professeur à l’institut d’architecture Victor Horta, du programme général d’Utopie

Au sujet de TOUT, cet homme orchestre n’a, comme son nom l’indique,rien à dire. D’autant plus que cette manufacture de rêves se définit comme une fabrique de questions.

Il n’en dit d’ailleurs pas plus sur le Valet des Rêves qui répète que c’est le rêve qui est important et non le rêveur et dont l’objectif est de voir l’audience sortir plus déboussolée qu’elle ne l’était en entrant, travaillée - dans le sens que les vétérinaires donnent à ce mot en parlant d’une vache qui va vêler - par plus d’interrogations que de réponses, convaincue qu’il n’y a pas de sortie au labyrinthe dans lequel nous sommes égarés... tout juste quelques moments d’exception à quelques carrefours.

 

Préliminaire

Ouverture du rideau rouge avec fade-out total des lumières sur scène et dans la salle obscure et silencieuse

D-1 : sigle de TOUTapparaissant progressivement sur fond de scène théâtrale représentant une chambre minable de vieux garçon. Sur une petite mezzanine éclairée par la lueur de la lune, un lit ou s’agite un dormeur.

D-2 : les reves se vivent : Le rêveur se réveille comme un somnanbule, s’étire, allume une bougie,

D-3 : ...t-ils ? : ... puis descend vers la table de cuisine, en caleçon américain et T-Shirt....

D-4 : Pour se rêv-ailér cauchem-art... : pour poser sa bougie et, enfermé dans le halo sphèrique de sa lumière, commencer son histoire :

Vous arrive-t-il parfois, au milieu de la nuit, de vous demander si vous rêvez ou si vous êtes réveillé. Moi par exemple, hier encore et les nuits d’avant, j’ai rêvé que je me réveillais, angoissé à l’idée que, le lendemain soir, je devais donner une conférence dans un grand théâtre de la capitale. Enfermé dans ce cauchemar, je décidais donc, pour me préparer, d’encore une fois tout répéter, assis derrière ma table de cuisine:  

 

I - Une Autre Terre

D-5 : La terre vue de la lune

         Une des grandes sources d’insomnie de la physique contemporaine est l’hypothèse qu’il existerait, parallèlement à notre univers de matière constituée d’électrons tourbillonnant autour de noyaux positifs, un second univers constituée d’antimatière et où des protons seraient maintenus en orbite autour de noyaux négatifs. La thèse de ces deux mondes antinomiques a été largement vulgarisée. Vous avez été certainement sensibilisés au cataclysme par néantisation totale qui résulterait de leur accouplement. Inutile donc que je m’étende plus dessus.

Il est cependant piquant de remarquer que cette théorie scientifique a été précédée, préparée par des élucubrations métaphysiques qui remontent au début de notre ère et qui ont été subtilement rafraîchies par mon professeur Jorge Luis Borgès et son ami René Caillois.

D- 6 : Affiche Utopie d’Architecture en Scène

Au deuxième siècle après Jésus-Christ, des hérétiques, les annulaires, répandirent la croyance selon laquelle que notre terre n’était que le pendant d’une autre terre et que ces deux mondes s’affectaient mutuellement comme les deux plateaux d’une balance. Que la lumière ici engendrait l’ombre là-bas, que le bien a gauche résultait du mal commis à droite. Que donc, pour ouvrir les portes du paradis à notre double, il fallait se sacrifier à commettre ici les pires péchés dans les orgies les plus démoniaques.

Cette superbe utopie - j’entends par utopie un projet politique visant à assurer le bonheur d’autrui - cette superbe utopie devrait nous consoler de nos minables échecs et de nos amours avortés, puisque là-bas ils se révèlent éblouissantes sources d’extase et gages de distinction pour notre alter ego... à moins qu’au contraire la société idyllique qu’avec ténacité, nous nous efforçons de construire tous ensemble ne se paie par le naufrage chaque jour plus inéluctable de l’autre moitié de l’humanité dans l’enfer.

Toujours est-il qu’au nom de cette hérésie, pour que s’extasient leurs sosies, des milliers d’hommes acceptèrent d’être crucifiés. Plus prosaïquement, quelques amis et moi-même, nous avons trouvé du travail. En effet, il y a une vingtaine d’années, un monsieur très bien de sa personne, genre ingénieur italien, et son épouse nous ont contactés. Ils prétendaient avoir visité le monde parallèle pour la sanctification duquel nos annulaires s’étaient jadis prostitués et nous ont engagés au sein de l’association sans but lucratif « TOUT... les rêves se vivent » qu’ils venaient de fonder.

C’est ainsi qu’au sein de TOUT, nous avons été impliqués dans la conception de plus de trente-six rêves et avons réussi à en matérialiser quelques uns, ceux sans doute qui, selon la conception des annulaires, sont restés de lamentables échecs de l’autre côté de l’espace-temps.

L’objectif de nos occultes mécènes, le but des expériences qu’ils mènent en nous manipulant comme des cobayes, serait de préciser les lois de correspondance, le taux de jumelage liant notre monde au leur. Car je suis de plus en plus persuadé que Léontine Van Droom alias Franz Desrêveux pour ne pas les citer, ne sont pas des aventuriers partis de chez nous comme Cyrano de Bergerac ou Gulliver mais qu’ils sont des émissaires de l’ailleurs.

Leurs conclusions s’avèrent déroutantes car il y aurait une subtile mais essentielle divergence entre l’incontournable, l’insoutenable objectivité scientifique et l’utopique hérésie annulaire.

La planète qu’ils auraient exploré - où dont ils sont originaires - ne serait pas une anti-terre, le négatif de notre monde. Ce serait plutôt son équivoque équivalent, oscillant entre la caricature exacerbée et la rose image d’Epinal, son ombre de rêve en même temps que de cauchemar.

 Dans l’état actuel de ses recherches, le docteur Lionel Desrêveux se refuse d’être dogmatique. Je suspecte que c’est parce que l’image de son sosie qui se dégage de plus en plus clairement de ses expériences révèle un personnage qu’il aurait préféré gardé secret, refoulé au plus profond de son inconscient.

Accepterions-nous d’ailleurs si facilement d’être confronté à notre utopique ou infernal clone, à celui qu’au plus intime de nous même, nous craignons ou rêvons d’être ? Pourrions nous garantir lequel de ces simulacres est de chair et lequel de rêve?

Ceci n’est qu’une supposition personnelle, sur laquelle je préfère ne pas m’étendre : il n’est pas facile de nos jours de garder, à fortiori de retrouver un travail !

A cette remarque, je me dois, déontologiquement, d’en ajouter une deuxième. Je ne suis ici qu’en tant que porte-parole,  bonimenteur de la société TOUT.  « Valet des Rêves » est ma fonction, mon titre officiel. Les opinions que j’exprimerai dans le cadre de cette conférence, à l’exception de quelques digressions comme celle-ci, ne sont donc pas les miennes mais celle de mon employeur. Ceux qui me connaissent  peuvent certifier qu’en tant que diplômé de la Faculté des Sciences Appliquées de l’Université Catholique de Louvain, je ne peux, en âme et conscience, les partager.

Par ailleurs, je voudrais reprendre la formule bien connue des marchands d’illusions littéraires ou cinématographiques, et insister sur le fait que toute ressemblance avec des personnes ou des événements ayant existé sur cette terre, est fortuite, tout ce que je décris ici - à quelques exceptions près et jusqu'à preuve du contraire - n’étant d’application que dans l’autre univers.

 

Situation générale

Mais assez de digressions. Venons en aux faits. Donc, selon Franz et Lio,  il existe, à l’autre extrémité de notre galaxie, aux antipodes de notre réalité, une petite bulle brunâtre qui vire légèrement au bleu et qui est couverte d’une très fine couche de vermine d’une voracité sidérante.

Cette antiterre est séparée en deux hémisphères. Le droit est complètement cuirassé par un vaste continent,  l’Absurdie. Le gauche est noyé sous les eaux d’une mer circulaire d’où émergent une poussière d’îles insignifiantes, l’archipel d’Utopie.

Ces premières et grossières caractéristiques devraient suffire à nous convaincre que notre univers est plus idyllique que l’autre puisque notre boule est d’un bleu céleste qui parfois se plombe délicatement d’argent. Elle devraient aussi nous conforter dans notre conviction d’être le plus beau fleuron de l’évolution, le plus parfait simulacre du Grand Architecte, la plus jolie des poupées d’argile qu’il modela à son image.

 

II - Le Continent d’Absurdie

D-7: Grouillement de rats

Mais revenons sur terre, pardon sur l’autre terre, en Absurdie qui n’est qu’une croûte d’asphalte boursouflée de furoncles de béton baignant dans un brouillard brun orangé aux relents sulfureux de pétroléîne et de dioxine. Dans cette interminable mégalopole dont les tentacules sont gangrenés par la rage de construire pour démolir, de consommer pour polluer, de faire la guerre pour qu’advienne la paix, dans cet écoeurant foûtoir, s’embrouillent sept milliards de rats microcéphales.

Il serait fallacieux de décrire le comportement de ces parasites incapables de distinguer leur soleil, glaireux comme un crachat d’estaminet (Henri Michaux), de leur lune, pauvre pleurnicheuse enfarinée car ils vivent en hystérie quasi permanente ombiliqués à des émetteurs d’images bleuâtres et tonitruantes se structurant épisodiquement en publicités pour masques à oxygène rajeunissant et berlingots d’eau présavonnée pour ablutions bimensuelles.

Lorsqu’on les déconnectent, ils se dégradent en robots assurant le médiocre rendement d’une écrasante machine à sous noire de cambouis et de sang séché dont les engrenages sautent - avec quel claquement de dents ! - pour grincer que le temps n’est que de l’argent.

Ces rats - « omnivorus économicus » est leur nom scientifique - se divisent en deux catégories : En haut, protégés par des vendus, quelques 360 spécimens gros et gras, corrompus et décorés, qui possèdent à eux seuls autant que la moitié de la population du globe. En bas, la masse de leurs squelettiques semblables qui grouillent dans la crasse et l’ignorance et sont acculés à se vendre au moins offrant. Pauvres bêtes !

Pour justifier ces outrances, leurs sociologues prétendent que l’appât du gain et la soif de profit sont les conséquences normales, inéluctables de l’instinct d’agressivité de leur espèce et d’un principe qui régirait l’univers autant que la loi de l’attraction universelle : le « struggle for life », « tuer pour survivre ».

Mais inutile de s’étendre sur ce sujet : il est évident qu’en tant habitants épanouis d’une terre au ciel d’angélique,  vous ne pouvez vraiment comprendre ce que je cherche à vous décrire... et c’est sans doute bien mieux ainsi.  

 

 

III - L’archipel d’Utopie

D-8 : Portait-robot d’autruche

         Envolons nous plutôt pour l’autre moitié de l’autre terre. Qui ne se sentirait mieux dans l’archipel d’Utopie, ce chapelet d’îlots mamelonnés comme tétons de nourrices affleurant aux antipodes d’Absurdie, perdu au juste milieu d’une Grande Mer aux flots tièdes et azurés ?

         A l’origine vierges et désertes, ces îles, encore appelées îles béates,  ont, d’après la légende locale, été l’une après l’autre et à diverses périodes civilisés par des rats illuminés qui s’étaient exilés d’Absurdie parce qu’ils n’en supportaient plus les dérèglements.

Sous l’influence de l’éternel printemps qui règne dans cet hémisphère, ces rongeurs évoluèrent rapidement pour, de la même manière que nous bronzons et chaloupons sous les tropiques, se transformer en autruches.

Le mécanisme de cette évolution est darwinien : les émigrés étaient des souris d’exception, à la fourrure aussi blanche que leur idéal de s’échapper de la puante poubelle d’Absurdie. Elles avaient toutes eu la sagesse de reconnaître, dans la foule des fous, le sage d’entre les sages. Elles avaient accepté gaiement de le suivre aveuglément en le surnommant affectueusement Grand Timonier, ou Petit Père des Peuples, ou Pasteur Bien Aimé... Elles avaient eu le courage d’affronter la houle du vaste océan, bercées par l’espoir de s’échouer sur des rivages enchanteurs... Elles avaient la conviction que le bonheur sur terre est possible et que tous les rats, en particulier ceux inscrits au parti, y ont également droit...

Ils n’est donc pas étonnant que ces élus se sentissent pousser des ailes et aient rapidement acquis la capacité de regarder l’avenir en se plongeant la tête dans le sable chaud des plages d’Utopie. Raison pour laquelle ils se targuent de mériter pleinement leur nom scientifique d’  « Ostrich Sapiens ».

Il faut remarquer que ces drôles d’oiseaux ne se rendent pas compte que leurs ailes sont atrophiées : Pour eux, le bonheur est terrestre et le vol inutile. S’ils ont des tas de plumes blanches aux bouts des bras - et ailleurs - c’est parce que, dans les îles béates, la pâte dans laquelle ils mettent la main, ou l’aile, ne s’apparente pas à la chiante réalité. La longueur de leur cou, la grosseur de leur tête, la largeur de leur sourire confirment par ailleurs leur capacité de dominer la matière, leur haute stature de philosophes éclairés.

Ils ont rejeté la thèse de l’agressivité naturelle des espèces et sont convaincus que tout souriceau peut évoluer en autruche, à condition d’être, dès sa naissance adéquatement nourri, éduqué, programmé. Bien plus, qu’il sera naturellement travailleur, vertueux, obéissant... ascète même !

         Méprisant donc les absurdiens et se gaussant de leurs réflexes pavloviens de consommateurs, ils partagent tout mais surtout le rêve sublime du bonheur terrestre pour tous.

Posés dans leurs actes, pondérés dans leurs propos, pompiers dans leurs discours, ces frères et soeurs cooptés croient, comme les béguines de Bruges, que la formule du bonheur est si simple, si claire qu’elle doit apparaître évidente à tout un chacun.

Pourquoi dès lors s’intéresseraient-ils à ce qui se passe en dehors de leur enclos ? Pourquoi s’inquiéteraient-ils de l’existence de danseuses emplumées ? Pourquoi s’interrogeraient-ils sur le non-sens humoristique de leur sourire ?

Ces oiseaux sans complexité, sans contradiction, sans profondeur.... ces oiseaux sans tête - n’est-elle pas invisible sous le sable - se satisfont d’être les policiers en gants blancs toujours souriants qui veillent sur leur morne quiétude en l’imposant charitablement à leurs prochains.

Ils sont heu-reux, et comme tout les gens heu-reux, ils n’ont pas d’histoire.

 

Utopie donc uchronie

Et de fait, au pays de l’éternel printemps, il n’y a pas d’histoire. Tout y est épuré comme le lait d’une inépuisable mère nourricière qui vous berce et vous garde des aléas du quotidien et des incertitudes de l’avenir.

C’est le pays du bon vieux temps où vieillesse est synonyme de sagesse et où des grands-pères aux jeux d’enfants vous persuadent que le progrès est inutile, la recherche scientifique nuisible, l’innovation artistique fatiguante.

Même les risques de surpopulation y sont conjurés, le nombre d’habitants de chaque île - 360 ou 9.999 ou 144.000 - restant constant, preuve numérologique de l’harmonieuse correspondance entre le cosmos et l’île immuable, gage de la pertinence de la politique matrimoniale du conseil des sages qui encourage chaque couple à ne procréer que deux enfants de sexe opposés : Pour chaque naissance donc, une mort... ou vice versa. Seule Big Ostritch sourit pour l’immortalité.

Cette utopie, du grec u-topos, lieu qui n’existe pas et eu-topos, lieu du bonheur, s’avère donc être aussi une uchronie, du grec u-chronos, temps qui n’existe pas et eu-chronos, temps du bonheur : C’est l’espace du bonheur en dehors de l’espace au temps du bonheur en dehors du temps.

 

Refus de la différence

C’est donc aussi une société sans faille et sans imperfection. Ou tout le monde il est beau et marche en chantant d’un même pas dans les mêmes uniformes élégamment cintrés, joyeusement soumis aux mêmes horaires ... au point que, dans les moments d’intimité, ces emplumées s’appellent l’une l’autre « Mon Miroir Jumeau» (Baudelaire).

Pas de place donc, dans l’archipel d’Utopie, pour les amoureux fervents, les savants frivoles, les pédérastes violoncellistes, les tziganes poètes, les aventuriers pirates, les rêveurs mélancoliques, pour tous ces petits génies ...

 

Le Béatitude en Micronésie

Parlant de nains, il est amusant d’ouvrir ici une parenthèse sur quelques îles de l’archipel d’Utopie, les îles micronésiennes, qui sont si minuscules qu’elles n’ont pu être envahies que par de toutes petites communautés. Celles-ci sont généralement dominées par une vieille pondeuse entourée de ses oncles, cousins et rejetons. Ces cellules sociales de base fonctionnant en autarcie, refermées sur elle-même, sacrifiant les désirs d’initiative des plus turbulents au confort et au bien-être des plus sédentaires, sont soumis aux règles de la matriarche comme à une loi divine.

Leur titre de gloire est d’être l’archétype des grandes collectivités utopiennes, ce qui, c’est évident, les différencie radicalement de nos heureuses unités familiales au sein desquelles nous nous sommes ouverts au monde.

 

La Grande Enigme

Un mystère cependant plane au dessus de l’archipel que personne ne cherche, que personne ne peut élucider : Ce  sublime rêve collectif qui enthousiasme chaque communauté utopienne comme au premier matin du monde, quel est son origine concrète ? Et quel sera son aboutissement?

Car, il ne faut pas se leurrer,  il n’y a pas, il n’y a jamais eu, il n’y aura jamais de rêve collectif spontané. Il y a toujours, au départ, le désir d’un individu et sa volonté, parfois de partager, le plus souvent d’imposer son rêve.

Dans le cas des Utopies de l’autre monde, tout ne commence pas avec un vilain rat pétri de violence dans les faubourgs brumeux de l’absurdienne mégalopole et qui, dés sa prime enfance, a éprouvé le potentiel de cruauté de ses parents, voisins et copains rongeurs, une graine de révolutionnaire pour qui il n’y a qu’une manière de crier sa colère et sa haine: en cassant la baraque !

Non, tout commence avec un gentil petite souriceau bourgeois à l’enfance heureuse et protégée qui, contraint d’abandonner les jupes de sa chère maman, supporte mal le bruit et la fureur d’une société en crise institutionnalisée où l’on ne reconnait pas son statut d’enfant gâté.

Incapable de désobéir, de se révolter contre le père et contre la société, apeuré par le spectre de la révolution, il se replie dans le rêve passéiste d’une société idéale, d’un monde ou il n’y a pas de méchants, d’égoïstes, de paresseux... il recrée le monde en chambre pour constater, ô géniale surprise, qu’il répond exactement à l’équation qu’il a établit pour la béatitude terrestre.

Convaincu de l’originalité de sa découverte, il se déclare prêt, comme les zélés apôtres de l’hérésie annulaire, à supporter le martyr pour l’offrir - ou l’imposer - à des individus qui ne lui ressemblent pas.

Ayant la chance d’être bien éduqué donc d’être aussi convaincu que convaincant, il ne lui est pas difficile d’embrigader sous ses ordres une foule d’abrutis attendris par la misère et l’esclavage qui reconnaissent enfin, et naturellement, son statut protecteur de Grand Frère.

Ainsi investi d’une mission apostolique, il prend alors l’audacieuse décision, plutôt que de changer l’ici et le maintenant, de partir avec ses suiveurs, de fuir dans l’ailleurs et le passé... dans l’île du jour d’avant.

 

Hier séduisante utopie, demain marâtre goulag

Hélas, la réalité, le temps et surtout les rats ne se plient pas aux phantasmes des grands philosophes.

Comme dans l’histoire de Dorian Gray qui un jour voit son visage d’éphèbe se rider comme une vieille pomme, toutes les îles de l’archipel d’Utopie se réveillent après quelques décades empoussièrées d’une morne morosité rose.

Et les braves autruches vieillies avant l’âge par un interminable printemps, chaque matin plus sclérosées par la contemplation d’un horizon aussi paradisiaque que rectiligne, soudain en ont marre de se raconter encore et toujours la geste héroïque du Guide Suprème, de sa tendre et fidèle  Utopine et des courageux petits nains de la montagne.... et Mère Courage, jetant l’éponge, veut, pour une nuit au moins, brûler comme une Juliette de Roméo.

Il faut alors remplacer l’idéal des aurores par l’autorité solaire et la colonie de vacances se métamorphose en colonie pénitentiaire.

D’autant que, et c’est l’autre, la principale raison pour lesquels les utopies se transforment en goulag, l’homme reste égoïste, vicieux, paresseux...il n’est pas le petit dieu parfait de sa Maman.

Pourquoi s’étonner dans ces conditions que certains échassiers plus audacieux, osent critiquer l’idéal angélique, bravent les règles du collège des sages, se réjouissent enfin d’être condamnés à l’exil ou décident de s’évader, d’émigrer loin du meilleur des mondes, du pays du Juste Milieu.

Quel fou en effet, ne manquant de rien et n’ayant donc plus rien à désirer, ne souhaiterait crever cette bulle de savon Monsieur Propre aussi joliment irisée qu’ennuyeusement vide ? Quelle séductrice ne jouirait de fissurer le sempiternel sourire de mongoliens attardés qu’affichent ses cousins ? Quel Lucifer, loin de s’assoupir dans l’illusoire plénitude de ces Paradis Artificiels, ne rêverait d’une descente aux enfers ?

Mais où aller quand toute la planète est quadrillée par deux systèmes qui ne sont qu’en apparence antinomiques, par un Disneyland absurdien qui adopte chaque jour un peu plus le profil des Alcatraz utopiens ?

 

Parenthèse sur la cage des mots

Petit arrêt avant de s’aventurer plus loin dans l’impasse :  On est toujours prisonnier des mots, à l’étroit dans une langue comme une langue dans la cage des dents. Il faudrait disposer d’autres termes pour s’ouvrir aux bleus de l’avenir qu’utopiste ou rêveur.

Pouvoir sucer un mot nouveau, bien savoureux, qui engendrerait un milieu qui ne soit ni le marché aux puces capitalistes ni le sanatorium utopiste. Pouvoir être pour... et pas seulement contre, bêtement contre le marteau de la société de consommation et contre l’enclume de l’idéologie utopiste.

Etre ailleurs, plus de marteau, plus d’enclume, plus de forgeron mais un homme qui s’arrête, se demande pourquoi il tape et rêve de vivre ses rêves.

 

Absurdie et Utopie ; deux mondes convergents

         Mais nous nous demandions où aller dans le nulle part ?

Qui en effet est encore assez naïf que pour croire qu’Utopie et Absurdie sont deux mondes qui s’ignorent totalement, s’excluent mutuellement ? Qui ne sait que, s’ils se font, depuis 1984, une guerre larvée, c’est pour mieux contrôler leurs populations ? Que leurs systèmes politiquement jumelés se conforment aux mêmes objectifs, dictés par la loi du marché ?

A moins, hypothèse encore plus angoissante, que l’archipel d’Utopie ne soit le laboratoire d’expérimentations sociologiques d’Absurdie. En effet, lorsque quelque idée nouvelle et dérangeante trouble la jeunesse d’Absurdie, on incite les plus remuants à la grande aventure ... à s’embarquer pour les îles lointaines. Là-bas, la nouveauté révolutionnaire est testée, banalisée, stérilisée ... puis récupérée, commercialisée sous forme de béret Guévarien ou de foulard palestinien, inoculée comme vaccin à l’ensemble des rats d’Absurdie.

         C’est ainsi que quelques uns des plus purs concepts altruistes d’Utopie ont été absurdisés ...

En effet, dans l’hémisphère droit aussi, l’enseignement est gratuit et accessible pour tous, ce qui a notamment pour conséquence qu’il y a dix architectes pour un maçon.

Pour garantir de droit de chaque rat à une tanière et le droit des promoteurs à un profit, on a multiplié les cités radieuses où les vieux chômeurs et les jeunes pensionnés se reconnaissent à leur numéro d’allocations familiales.

Grâce aux miracles de la médecine marchande et aux ressources des mutuelles, la population a gagné en âge et en sagesse et dès lors se montre plus respectueuse de l’ordre établi et des monopoles de l’industrie pharmaceutique.

On a même mis en place un système prouvant que le travail est un plaisir enviable puisque les inactifs gagnent plus que beaucoup de parias du travail ; Ce qui confirme chaque rat dans sa fonction civique de consommateur docile et de débiteur soumis.

On a surtout systématisé une démocratie parlementaire ou le plus grand nombre constitué, grâce à l’enseignement gratuit, des membres les plus créatifs et les plus ouverts de la communauté, vote pour convaincre le plus petit nombre de la justesse de ses choix. En signant un chèque en blanc à des manipulateurs médiatiques dont l’honnêteté est attestée par la blancheur de leurs pepsodents !

C’est ainsi qu’on s’est rendu compte, même en Absurdie, du caractère avarié des contes de fées utopistes, de leur lente dégradation en roman kafkaïen. Comme le laissait pressentir déjà l’univers concentrationnaire des plus vieilles îles de l’archipel d’Utopie, il y a comme une odeur de goulag dans l’avenir.

 

Conclusion : Il n’est pas d’autre issue que les enfers

Mais si, dans l’autre terre les utopies tournent à l’aigre et à la chambre à gaz, si les rêves s’y vivent pour se révéler cauchemars, que peuvent faire les exclus du système... sinon s’enfoncer dans les enfers, se perdre en Anomalie ?

 

IV : Les Grottes d’Anomalie

D-10 : Diable de Cimabue

 

Préliminaires : l’entre Absurdie et Utopie

         Je me suis laissé dire que, pour quelques mystiques japonais, l’espace entre le tronc et l’écorce, le vide qui les sépare, était le lieu inexistant où se résolvaient les tensions provoquées par la croissance de l’arbre... et qu’un même non-lieu -  qu’ils appellent le Ma - existerait dans l’homme.

Selon Léon Van Droom, ce Ma existerait aussi de l’autre coté de l’espace-temps : ce serait le no man’s land séparant l’Absurdie de l’Utopie et où se retrouvent tous les exilés et désaxés des deux hémisphères.

Il faut remarquer cependant  que ses déclarations sont sujettes à caution puisque, rappelez-vous, François Desrêveux vient sans doute de l’autre monde et que rien ne nous permet de savoir s’il est souriant ambassadeur d’Utopie, éminence grise d’Absurdie ou auto-stoppeur d’Anomalie, donc plus démens que sapiens

 

L’extension topographique d’Anomalie

Mais nous parlions d’Anomalie .

Cet underground ténébreux mine l’intérieur de l’autre terre, reliant par un dédale de galeries tortueuses et de grottes humides, on pourrait dire par les tripes, les îles ensoleillées d’Utopie à la grise mégalopole d’Absurdie. Un doux poète dirait que c’est la fissure d’inconscient qui  soude les deux hémisphères de l’autre tête.

Cette sous-terre, comparable vraisemblablement aux enfers qu’Orphée et Dante ont exploré chez nous, est habité par les anomaliens qui ressemblent à nos charmantes pipistrelles.

 

Moeurs et coutumes des anomaliens.

L’anomalienne n’est donc ni une autruche à grosse tête d’Utopie ni un rat microcéphale d’Absurdie mais plutôt le produit de leur hybridation, une chimère à corps poilu et ailes griffues. Sa caboche, il avoue en souriant qu’elle est ailleurs, dans les nuages, dans la lune.

Elle a traversé les brumes brunâtres d’Absurdie, s’est embarquée pour l’archipel l’Utopie puis s’est égarée dans le dédale des enfers. Si son corps est noir, c’est parce qu’elle s’est brûlée a tout vouloir voir, tout essayer, et désespérer de tout. Si elle a des ailes, et des ailes immenses, c’est parce qu’elle doute de tout, de la nature illusoire de la réalité autant que de la réalité de ses rêves et que donc elle plane dans sa tête comme dans le monde.

A elle s’applique par excellence le texte , peut-être altéré par Léon Van Droom, d’un de nos écrivains, André Gide, qui avait déjà compris le caractère utopique des familles et qui aurait été, dans l’autre monde, un anomalien de grande envergure :

Un vol pathétique, Nathanaël, plutôt que la tranquillité. Je ne te souhaite pas d’autre repos que celui du sommeil de la mort. J’ai peur que tout désir, toute puissance que tu n’aurais pas satisfaite durant ta vie, pour leur survie ne te tourmentent. Je te souhaite, après avoir exprimé sur cette terre tout ce qui attendait en toi, - satisfait - , de mourir complètement désespéré.

Cette pipistrelle éblouie par le soleil et impressionnée par la lune, ni ange ni démon mais bizarre oiseau déplumé, est donc une rêveuse qui ne peut vivre sans matérialiser ses rêves tout en sachant qu’il se révèleront cauchemars. Qui tente de s’envoiler  d’extase, de délire, de démesure avant de se chiffonner en boule de désespoir. Un noeud de contradictions en quête d’absolu au travers d’actes anodins, imparfaits, éphémères. Assoiffée de plaisirs inconnus, inassouvie de liberté donc en perpétuel état de frustration. En attente ... et désillusionnée de TOUT.

 

L’extase plutôt que le bonheur

La chauve-souris sait en effet que le bonheur, comme la beauté ou l’harmonie, n’est qu’un mirage furtif, un instant d’exception dont on ne peut fixer, figer que les cendres. Que c’est la plus folle des anomalies, des déviances.

Elle refuse donc d’avaler 366 jours par an pendant 99 ans la même pilule de bien-être vitaminé que ses semblables. Elle a découvert que tout organisme s’accoutume rapidement à une dose rationnée de plaisir quotidien et n’en tire bientôt plus de satisfaction. Elle exige donc de pouvoir outrepasser la limite prescrite et veut expérimenter des drogues inconnues.

Elle sait pourtant de quel seaux de larmes elle risque de devoir payer chaque éclat de passion. Elle reconnaît même que son plaisir est exacerbé par la douleur, la sienne et celle de l’autre et qu’il est aussi vain de vouloir dissocier l’un de l’autre que de séparer l’ombre de la lumière.

Que lui importe qu’un mathématicien d’anomalie, remarquant que les larmes du chagrin et celle du plaisir sont tièdes et salées, se soit amusé a démontrer qu’un éclair de béatitude valait une éternité de regrets. C’est sans remords qu’elle quitte la fourmilière du bonheur tranquille dans le fol espoir de chanter, ne fusse qu’un été, avec une cigale.

 

La saveur de l’éphémère

En réaction contre les rats absurdiens percés par la flèche du progrès et les autruches utopiennes pétrifiés dans une éternelle béatitude, l’anomalienne jouit de la singularité de chaque instant, de la fuite des jours, du cycle des saisons, de la marque des années... jusqu'à la seconde où Inutile Pipistrelle se détachera du plafond de sa caverne pour embourber un peu le sol.

Et, pour exacerber cette valse du temps, cet agent de l’ombre, adepte du mythe de l’éternel retour, organise de fastueux rituels en l’honneur de la lune et à l’occasion les solstices solaires.

L’éloge de la différence

C’est une droguée et sa pilule d’extasie, c’est l’Autre, celui qui nous échappe toujours en nous ouvrant les portes de la perception, pour qui éprouver l’intolérable vertige, avec qui s’envoiler et tomber dans l’abîme.

Travaillée par cette quête de l’autre, chaque pipistrelle exacerbe ses spécificités comme elle affine ses griffes, étire ses ailes pour se découvrir unique et monstrueuse... au sens qu’avait encore ce mot chez nous au siècle passé, lorsqu’il caractérisait les nains et les nymphomanes, les femmes à barbe et les hermaphrodites,  les albinos et les nègres.

Pour cette superbe métisse à la toison mordoré, fauve ou flamme, pour cette insolente bâtarde soulignant les délicates asymétries de ses ailes par des tatouages labyrinthiques, il n’y a ni espèce élue ni beauté idéale ni opinion supérieure. Peut-être a-t-elle constaté que le beau n’existe que pour celui qui ferme les yeux quand il jouit. Peut-être a-t-elle découvert, au fond de son dédale obscur, que l’important est invisible pour les yeux... Cette sang-mêlé a, c’est certain, beaucoup d’imagination.

Trop en tout cas que pour s’enfermer dans le cadre de la pensée unique, le cercle de la cité parfaite, la pyramide des castes.

Assez que pour se tuer à créer des objets inutiles, mourir en héros ou d’amour, chercher le nirvana sous les ponts ou ne rien faire...

 

Les charmes de l’imperfection

Et, en réaction contre le cadre de la pensée unique, le cercle de la cité parfaite, la pyramide de la race supérieure, goûter les charmes de l’imperfection, se passionner pour l’exception qui ne confirme jamais la règle, élargir le précipice des doutes et défendre le droit à l’erreur dans la logique de la théorie des catastrophes et du principe d’incertitude.

 

L’équivoque des symboles (à développer)

La volonté aussi de montrer qu’il n’y a pas une et une seule réalité référentielle mais au contraire des foultitudes d’univers parallèles, aussi illusoires les uns que les autres.

Pour passer de l’un à l’autre, de l’un à l’Autre, il n’est d’autre porte que l’équivoque porte des symboles.

 

Le goût du vice

Pas étonnant que ce que l’on reproche surtout à ce monstre, c’est d’être, selon la formule des utopiens bien-pensants, un vicieuse qui aime ses vices...

Qui le lui reprocherait ? Pas Dante platoniquement amoureux de sa vaporeuse Béatrice en jalousant, selon Borgès, le baiser enflammé que, pour l’éternité, Paolo et Francesca se disputent en enfer ; Pas Baudelaire qui affirmait que « La volupté suprème et unique de l’amour gît dans la certitude de faire le mal » ; Pas la foule des artistes maudits qui se dépassent dans les représentations de tortures infernales et s’embourbent dans des images de paradis rose et bleue..                         

Donc notre Vampirella, alors que sa cousine Utopine est une gentille petite fille sage à sa maman, est une révoltée qui ne respecte pas les règles du jeu que d’autres prétendent lui imposer, une fugueuse aux mauvaises fréquentations : Prométhée, Icare, Lucifer, une écorchée qui ne nie pas sa «Part Maudite» et qui donc a tous les défauts...

Une oisive qui ne se croit pas condamnée, par décret divin ou endoctrinement sociétaire, à ne pouvoir gagner son pain qu’à la sueur de son front. Et certainement pas à la sueur des fronts d’autrui qu’il faudrait asservir.

Une jouisseuse qui ne voit dans son existence pas d’autre justification que d’être l’une des centaines de milliers de pétales de fleurs d’un cerisier en mai mais dont chaque pétale se fane à son heure, à son rythme.

Une flambeuse qui s’enivre de gaspillages au cours de bacchanales rituelles où, comme la terre, elle se donne sans compter pour sombrer ensuite dans de longues périodes de prostration, d’engourdissement, de déprime : Les normaliens d’Utopie appellent cela la paresse congénitale de l’anomalien.

Une goulue qui, , ne possédant rien, refuse le diktat héréditaire de la propriété privée et n’hésite pas à voler celui qui monopolise et thésaurise ce que la nature lui a prèté.

 

L’inasouvisable soif de liberté

Une chauve-souris qui, dans la logique de la fable de La Fontaine, trompe les aigles et les lions, qui n’a ni dieu ni roi, sans foi ni loi mais qui cependant se soumet a une règle absolue : le respect de l’autre et de sa pleine liberté de vivre autrement, jusqu’au bout de lui-même, aux confins de sa capacité de souffrir et de jouir.

Hélas donc il faut ainsi, même dans le labyrinthe anarchique d’Anomalie, où personne ne s’aveugle sur l’attrait du mal, neutraliser celles qui méprisent, trompent, torturent, violent, assassinent leurs semblables. Condamnées à épuiser leurs phantasmes jusqu'à en vomir dans la réalité virtuelle, interconnectées par un réseau particulier équivalent à notre Internet, elles redeviennent bientôt mornes comme des agneaux. On leur donne alors un sauve-conduit pour retourner se faire pendre en Absurdie ou jouer au philosophe en Utopie.

Par contre, les pipistrelles ont la liberté, la licence la plus totale de découvrir les secrets les plus intimes de l’Autre,  que ce soit l’univers ou son partenaire et la transgression des interdits conventionnels ne suscite aucun blâme. Il arrive parfois néanmoins que certaines soient condamnées arbitrairement aux peines les plus farfelues, déterminées par une loterie semblable à celle qui, toujours selon Borgès, se déroulait jadis dans Babylone la dissolue.

Ces habitants, pour se distraire du bonheur de l’Eden, avaient organisé ce jeu du hasard pour connaître les merveilleux frissons de l’angoisse et de l’inconnu, savourer la surprise d’être couronné ou jeté au cachot, entouré d’amants ou cloîtré au couvent, plein de sagesse ou de folie. Et le succès de cette tombola avait été tel que, par souci démocratique, il avait été décidé que tous y joueraient désormais gratuitement... au point que plus personne aujourd’hui ne se souvient de cet utopique bienfait.

        

Le jeu des  masques

On peut comprendre que l’anomalienne, qui ne supporte aucun uniforme mais a le désir constant de surprendre l’autre et de se surprendre, ait un goût déraisonnable pour les déguisements et les masques. Ainsi, elle peut brouiller toutes les cartes, toutes les références, amplifier la part de  mystère et d’indicible de chaque rêve vécu, prétendre même, avec une jouissance perverse, être bonne autruche ou affreux rat... et trouver, dans ce jeu de cache-cache, d’innombrables complices aussi phantômatiques qu’irrespectueux des têtes couronnées ou idoles étoilées.

Mais le dérèglement comportemental de la souris ailée est plus profond : Elle considère son nom comme une étiquette qu’on lui a collé à sa naissance et qu’elle choisit de ne confier qu’à ses proches et amis. En dehors de ce cercle d’intimes, elle préfère, consciente que le nom des politiques s’écrit partout, que le sien ne soit pas trompetté par tous les vents de la renommée.

Au travers de cette volonté d’anonymat, elle ne veut cautionner aucune forme de culte, en particulier le culte de la personnalité. Ecoeurée par ces signatures  qui jurent au le coin de tant de chefs d’oeuvres, elle répète que c’est l’œuvre qui importe et non son auteur, le rêve et non le rêveur. Plus sournoisement, elle jubile d’emberlificoter le pseudo-esthète averti qui se pavane en expliquant l’art à coup d’anecdotes familiales ou psychologiques.

Par contre, à l’inconnu qui décolle lentement, elle offre ou plutôt abandonne la plus grande liberté de vol et aucun filet de sécurité s’il lui arrivait d’être pris de vertige, d’extase.

 

L’anti anomalie artistique et conventionnelle (à revoir)

Il va donc de soi qu’en Anomalie, aucune pipistrelle n’accepte d’être baguée de la mention « attention artiste » puisque toutes sont, à leur façon, anartistes. Au point que ces deux  termes, artiste et anartiste n’exprimant plus rien de spécifique y sont tombés en désuétude.

Là comme partout, la nature d’un objet, sa charge de plaisir, d’émotion, son potentiel d’illusions dépend d’abord de l’ouverture et de l’imagination du candidat jouisseur, de la sensibilité de son radar et non des complexes de son fabricant.

On refuse donc d’emprisonner, de mettre sous cadre une chose en la réduisant à l’état d’oeuvre d’art ; Qu’elle soit désenchantée par des spéculateurs plastronnant entre des coffres forts de collectionneurs et des catacombes de musée ;. Qu’elle soit trahie par d’intermédiaires pseudo-maîtres à penser, idéologues de service, historiens d’art ou faiseurs d’histoires politiques...

On ne réserve pas non plus cette activité à une crême d’énergumènes qui, pour survivre, ont le réflexe de produire des oeuvres psycho- ou socio-somatiques d’un égotisme et d’un ésotérisme sidérant. Qui savent tout l’effet qu’à le label «artiste maudit» sur les hermines blanches et les gros rats fatigués. 

On a vu assez de pseudo-anomalies dont l’arrière-train était tamponné du cachet « avant-garde ».

Ce que s’amuse à faire ce pervers empêcheur de voler en rond qui ne fait pas dans l’art (en hommage à Jacques Lizène, artiste autarcique puisqu’étant son propre tube de peinture) en répétant équivoquement qu’il est œuvre d’art puisqu’éphémère.

 

L’anodine anomalie d’un grain de sable

Car n’est-il pas vrai - ou faux - que n’importe quoi, même manufacturé, est là, offert gratuitement à tous pour rappeler que l’inutilité et l’inefficacité du plaisir prime sur la rentabilité, invitant ainsi chacun à découvrir que l’autre aussi, tous les autres peuvent être artistes.

En conséquence, pour l’anomalien qui est hypersensibilisé au caractère unique, irremplaçable de tout individu, de tout environnement, de tout instant,  chaque individu, chaque environnement, chaque instant  peut se métamorphoser en noeud d’anomalie, en centre de vie.

Tout cela dans le délirant espoir de fissurer les murailles de béton d’Utopie et d’Absurdie et d’encager des coins de bois dans les circonvolutions cérébrales des endoctrinés d’en haut; de semer entre ces lèvres entrouvertes quelques grains de folie et même les mordiller d’un baiser...

Non pas, contrairement à la légende qui trouble le sommeil des souris et des autruches, pour boire l’immortalité dans le sang d’autrui. Cette superstition fait sourire l’ange aux ailes ridées cependant il reconnaît qu’elle n’est pas sans fondement : Il nourrit en effet le vain espoir que l’un ou l’autre de ceux qui auront frisonnés, sera contaminé et rejoindra un soir le peuple de l’ombre... pour là rêveiller le rêve du vampire qui aura cessé de rêver. Et cela aussi longtemps qu’il y aura des rats et des autruches, donc pour une toute petite éternité.

 

Mourir de ne pas vivre sans vivre ses rêves

Parce que - Aurore d’Onirie, fille naturelle de Franz et de Léonie, vous le confirmera - la pipistrelle d’anomalie ne peut jouir en solitaire mais veut jouer avec d’autres.

C’est dans cette attente qu’elle secrète, paresseusement suspendue au plafond humide de sa caverne, les rêves les plus fous. Pour un jour, avec ses compagnes et ses cousins les rats et ses tantes les autruches, les épanouir, les éclater, les ensoleiller dans l’air libre.

... en sachant, pauvre folle, qu’ils pourriront demain, se dessécheront irrémédiablement en univers concentrationnaires pires que ceux du passé et enfanteront les cauchemars les plus inimaginables

Elle s’en fout, la folle, car elle sait qu’ils serviront de tremplin pour d’autres envols encore plus... encore plus... encore plus ... dans la certitude que demain la nuit sera d’encre et éternelle et glacée.

         Et qu’au cours de tous ces vols icariens, durant la minute précédant l’inévitable chute, quelque chose d’autre aura existé dans l’anomalie d’un instant d’harmonie, l’échange fugace d’un sourire, le miracle de l’extase...

Donc rêver pour vivre ses rêves, pour qu’ils se révèlent cauchemars et semences d’autres délires. De l’air pour respirer sans doute mais surtout pour battre des ailes... puis faire de la poussière. La vie n’a pas d’autre sens. Car, comme le disait déjà feu  Marcel Mariën, plaisir d’amour ne dure, n’est dur qu’un moment.

 

  

V QUELQUES EXEMPLES D’ANOMALIES

 

Mais pourquoi avoir perdu tant de temps à décrire cette monstrueuse pipistrelle, j’entends monstrueux au sens qu’avait encore ce mot chez nous au siècle passé, lorsqu’il caractérisait les nains et les nymphomanes, les femmes à barbe et les hermaphrodites,  les albinos et les nègres. Alors que j’aurais du, beaucoup plus simplement, illustrer sa démarche ou plutôt son envol au travers de quelques exemples.

Ne vous alarmez pas ! mon intention n’est pas de vous présenter des photos d’horreurs en provenance de l’autre terre, avec ses hordes de rats, ses bandes d’autruches, ses nuages de chauve-souris.        

Non, il faudra vous contenter des mauvais plagiats que TOUT a cherché et parfois réussi à réaliser ici, avec le soutien occulte de Léontine-Francoise des Raives de Drome.

Si ce fourre-tout ne répond pas à votre attente, je ne peux que vous conseiller d’adhérer à la secte des annulaires et vous consoler en vous répétant que chaque rêve raté de ce côté du miroir s’est révélé de l’autre côté parfaite source de plénitude.

 

Un Rêve Venu de Bientôt - Un Rêve pour qu’elle revienne - Un Rêve... et l’Autre dans la Lune - Un Rêve étoilé - Un Rêve Entre Deux Mirages - Un Rêve de sous les Pavés - Un Rêve Fèlé - Un Rêve Absent - La Porte des Rêves - Un Rêve à Encadrer - Un Négatif de Rêve

 

VI - De l’Architecture en Utopie et Anomalie

Assez d’images maintenant mais, puisque, dans la salle, une majorité d’architectes ou de candidats architectes m’honore de leur présence, une parenthèse pour tenter de comparer, d’opposer la démarche utopienne à la démarche anomalienne dans le champ clos de l’architecture.

 

Batisseur de Paradis !

En Utopie, qui, rappelez vous est aussi une uchronie, il n’est pas d’autre art que l’architecture, par son essence de marbre ou de béton, immortelle et pas d’autres artistes que l’artiste total, le Grand Architecte.

Ce n’est en effet qu’à cette très grosse tête que peut être confié la mission de bâtir la Jérusalem Terrestre, la Cité Radieuse et accessoirement le Cercle Familial.  Il est le seul capable d’inscrire pour l’éternité, par le délicat équilibre de volumes géométriques aux divines proportions, l’harmonieuse structuration de l’idéale société.  Il n’en est pas d’autre qui sache proportionner ergonomiquement le microcosme de chaque citoyen pour garantir son heureuse insertion dans le macrocosme de la collectivité et de l’Univers.

Cette mission cosmique, il l’assume gravement dans la continuité de son ancêtre, Hyppodamos de Millet, ce sage météorologue architecte qui avait compris le mouvement des astres, la musique des sphères et les cycles du temps et su, aux temps les plus anciens, les transposer à l’échelle de l’homme dans les plans de la cité parfaite.

Pourquoi s’étonner dès lors que quasi toutes les Clubs Med carapaçonnant les collines d’Utopie, bien qu’occupés à des périodes successives par des communautés différentes, conçus par des architectes aux personnalités dissidentes, utilisant des techniques toujours plus révolutionnaires, se conforment systématiquement au même modèle ?

Il  n’est en Utopie qu’une seule et parfaite réponse quand à la place de l’homme dans l’univers que tous les architectes utopiens ont trouvée.

Voilà pourquoi toutes les autruches qui assumèrent la tache de dessiner le nid collectif, s’empressèrent d’abord de cercler leur domaine d’une muraille circulaire. Ainsi protégé d’influences extérieures et donc délétères, inaccessible et inhospitalier pour des espèces étrangères ou des naufragés concurrents, le nid se devait d’être urbanisé douillettement, méthodiquement sur base d’un schéma concentrique réservant à chaque élément du corps social, en fonction de son rang,  une cellule spacieuse, ni trop grande, ni trop petite, mais scrupuleusement semblable à celles de ses voisins. Raison pour laquelle toutes les cages à lapins, pardon tous les nids d’Utopie ont la beauté froide des panoptiques, ces prisons parfaites où, d’un point central, le maître comprend tout.

Dans cet univers clos, sans faille, parfait, il n’y a, comme Platon, Hitler et Yawhé l’ordonnaient, aucune place pour les artistes fébriles et les amoureux fiévreux. Comment tolérer en effet qu’un incontrôlable et douteux génie sujet à d’épileptiques crises d’inspiration entrave, par le petit grain de sable différentiateur de sa créativité, les engrenages de la céleste machinerie ... A moins, bien évidemment, qu’il n’ait la créativité réaliste socialiste, une opinion de chantre du régime, une échine d’adulateur de la Grande Autruche. A ce sujet, une phrase de Fénélon résume succinctement la conviction des utopiens :

Le paradis est un lieu où les hommes vivent

sans loi, sans monnaie, presque sans technique et sans arts.

 

Squatters de Mausolées

En Anomalie par contre, il n’y a ni Cité Radieuse ni Sphère de la Raison ni Parallélépipède des Nations. Peut-être n’y a-t-il d’ailleurs pas d’architecte ou plutôt chaque anomalien se considère-t-il comme architecte en puissance puisqu’artiste potentiel.

Sa demeure n’est pas une demeure mais un résonateur, un amplificateur, un perturbateur du temps et de l’espace, un mobile qui change au rythme du soleil et de la lune et joue dans le vent au rythme des saisons ;

Un échafaudage aussi superbe qu’éphémère, un amalgame de récupéré-gaspillé-gratuit, un temple baroque de l’irrespect, du futile, du superflu, un nid de liberté et de libertinage, un foyer ouvert à tous...

Une sculpture habitable qui n’est consacré à aucun dieu, ni accaparable par aucun maître, sans fonctionnalité, rentabilité ni confort garantis, labyrinthique incohérent et multiforme ou rêver dans des amoncellements de lourdes draperies, d’épais tapis , de voluptueux cousins ... en un mot dans un luxurieux désordre ;

Un antre encombré d’étrangetés, de curiosités, de banalités ; un brol que ne marchanderait aucun de nos collectionneurs monomaniaques car chaque objet est abîmé, fêlé, ébréché... portant sa marque d’indéfini, d’infini...

Une anarchitecture de vampires, architecture sans architecte qui ne cache ni ses défauts ni ses charmes, ni ses enthousiasmes ni ses lubies dans une débauche de beauté qui se révèle toujours être le kitsch d’un autre ;

Une deuxième peau, ample, souple, sensuelle à caresser, à tatouer, qui palpite, s’adoucit, se chiffonne, se déchire, se cicatrice parfois puis un jour, toujours s’efface pour laisser le champ libre à d’autres délires ;

Un organisme vivant qui s’enracine dans son milieu, se nourrit de sa spécificité, en exalte les (dés)équilibres, métamorphose le tout en un tout... puis se fane ;

Quelque chose d’unique, d’irremplaçable ... et de mortel à l’image du nomade qui l’a construit pour y vivre et s’en éloigner.

 

VII - L’anomalie donc l’altération

 

Entre les parenthèses

Encore un mot qui a cours dans l’underground de l’ailleurs : altérer. Mot qui ici caractérise le processus de décomposition géologique de la croûte terrestre qui parfois provoque de spectaculaires enrichissements superficiels en métaux ou pierres précieuses. Mot qui, chez les vampires, a son sens étymologique d’ouverture à l’autre, à l’Autre.

Pauvre fleur qui se leurre un instant sur le fait que l’on n’est pas seul, toujours irrémédiablement seul en Absurdie, irrémédiablement seul en Utopie, irrémédiablement seul en Anomalie.

 

Entre la chenille et le papillon

Mais je devrais ne plus me répéter et, au travers de quelques dias relatives à un étrange projet, une histoire des lucioles ou de papillons blancs dans laquelle TOUT n’est pas directement intervenu, montrer encore une fois à quel point ce qui hante la tête des chauve-souris d’Anomalie est confus.

Butterfly project &  human incubation 

 

XXXVI : ...

 

Certains d’entre vous sont sans doute anxieux de savoir, puisqu’aucune photo ne le révèle, quelles ailes déploieront ces drôles quand ils déchireront leur cocon ? Sous quelle forme ils souhaitent renaître ? S’ils croient au mythe de l’éternel retour ou trouveront une issue au labyrinthe dans lequel nous nous perdons ?

 Où s’ils demeureront comme vous et moi, complètement déboussolés, ne sachant où aller, à gauche ou à droite, en Utopie ou en Absurdie, plus haut ou plus bas.

Effrayés surtout de constater que tout se confond de plus en plus.

Sachant qu’il n’y a aucune échappatoire vers d’autres univers, pas même à l’autre extrémité de l’espace temps puisque, comme le prouve la présence de Léon van Droom parmi nous et le voyage de Franz Desrêveux dans l’autre monde, notre terre et l’antiterre sont de moins en moins différentes.

Pressentant que nous aussi, grâce aux progrès de la science et aux exigences de l’économie, nous devenons de plus en plus des utopiens d’Absurdie c’est à dire de bons petits consommateurs au bonheur standardisé, encadrés par de généreux banquiers, d’honnêtes politiciens, de prévoyants chercheurs. Où même les riches paraîtront moins riches et les pauvres moins pauvres.

 

En thermodynamique, on dirait que l’entropie du système est devenue complète.  Que rêve et réalité, ici et ailleurs, paradis et enfer s’emmêlent: que tout s’englue dans une pénombre de plus en plus uniforme. Que la balance, s’approchant de son point d’équilibre,  va s’immobiliser dans un état d’indifférenciation totale. Qu’adviendra le temps du purgatoire où tous nous vivoterons chômeurs-pensionnés à moitié heureux dans un demi malheur tandis que faiblit  la lumière.

A moins que...

A moins qu’il n’y ait une invasion d’anomaliens, d’allumés fêtards et chahuteurs, de fauteurs de troubles désespérés dont le délire, les petites extases ou les grands frissons feront tout refleurir.

Pas encore une nouvelle vague d’idéalistes promettant le paradis pour plus tard sur une terre rénovée à l’intention de nos petits enfants avec, pour après-après-après-demain, un feu d’artifices municipal clôturant le bal-musette du Grand Soir.

Non rien de tout cela mais simplement une multitudes d’actes anonymes, plus ou moins anodins, posés dans l’ici et le maintenant par des hommes et des femmes qui se savent uniques, irremplaçables et éphémères... et pour qui le bonheur se partage en toute liberté, fugace illusion.

 

XXXVI bis : Deux rêves pour ici et maintenant

 

Dans cette folle perspective,  je voudrais, pour ici et maintenant, vous proposer deux rêves à vivre.

Le premier, Le Rêve Entre Deux Mondes, entre Belgrade et Sarajévo, ou Lainvain les vieille et neuve, s’inscrit dans l’illogique onirique de cette non-conclusion

Le second, le Rêve de Partir sur la Pointe des Pieds, est un tout petit rêve que j’aimerais vous voir vivre avec moi.

D-99 : Le creveur de lunes

Vous avez certainement été choqué par ces concerts qui invite au bleu de la sérénité et qui soudain sont troublés par un tonnerre d’applaudissements ou une pluie de tomates. Vous avez sans doute aussi été gênés par les battements de mains de commande suivant une pièce de théâtre qui vous laisse songeur sur la pertinence ou l’inanité des discours des hommes.

Je vous propose donc de ne pas troubler vos voisins plus ou moins assoupis. De rêver peut-être encore un peu dans l’obscurité, sans vous fatiguer à frapper des mains ou siffler des lèvres. De sortir doucement, sur la pointe des pieds... Architecture en Scène vous invite d’ailleurs au bar pour lever votre verre et pisser un coup à la santé d’Utopie.

C’est ainsi que ça se termine dans le cauchemar que je fais chaque soir dans ma cuisine ; je rêve alors que je me rendors profondément. Et c’est vrai que je dois me reposer. Demain, François-Léopold, mon patron, donne une conférence au théâtre Royal du Parc et je dois faire sa chambre.

 

Rien que le silence et la pénombre. Tandis que le valet souffle sa bougie et va se recoucher, lente descente du rideau de fer.

  • 100 : OU RIEN : Et, troublant le silence, la chanson de John Lennon (Imagine ». Qui ne se termine pas mais se prolonge ad infinitum en disque rayé sur la phrase « You may say I’m a dreamer but ...» tandis que les lumières reviennent progressivement dans la salle.

 

Faut-il le rappeler, ceci est un texte martyr.

Toutes vos critiques et suggestions sont donc les bienvenues

et peuvent être transmises au Valet des Rêves de

TOUT... les rêves se vivent ! 16, rue du Béguinage à 1000 Bruxelles - Tel : 2176395