Homélie de Nathan pour sa maman, pour Sylvia

De Paul Gonze
Aller à la navigation Aller à la recherche

Chère Maman,

   L’une de mes plus grandes angoisses au cours de ta maladie, cela aura surement été de ne pas pouvoir exprimer, avant que tu partes, toute la tendresse que j’ai pour toi.

  

   Je suis d’un naturel pudique et je n’aime pas me laisser guider par mes émotions. Dans ma conception, l’amour que nous nous portons se suffit à lui-même et n’a pas besoin de démonstration ostensible et de mots tendres. Mais tu es tombée malade, et tout s’en est trouvé bouleversé. Il m’a donc fallu prendre mon courage à deux mains pour rattraper le temps perdu : Te dire que je t’aime, que tu allais me manquer, que j’étais très fier de la manière dont tu te battais avec cette saloperie qui te rongeait les trippes. Tu m’as écouté sans m’interrompre et avec un œil malicieux tu m’as simplement répondu : Je le sais bien. J’ai alors compris que tu étais bien plus forte que moi…

  

   Car, de la force tu en as eue, jusqu’au bout ton désir de vivre était bien présent. Tu te savais condamnée mais tu avais aussi besoin par moment d’espérer, de croire que des jours meilleurs viendraient. Comme cette fois où, clouée au lit par l’une de tes chimiothérapies, tu m’as envoyé t’abonner au magazine « Je vais construire», persuadée qu’il était décidément temps, une fois remise sur pied, de te lancer à nouveau dans des grands travaux. A moins que ce soit, comme tu pouvais le faire, un message déguisé que tu m’adressais. Mais oui maman, je prendrai soin de la maison que tu chérissais tant. J’ai reçu le premier numéro il y a trois jours, j’ai souri en pensant à toi, j’ai passé un bon moment. Je crois que des bons moments, tu en as partagés avec beaucoup de monde ces derniers mois, malgré la douleur physique et l’angoisse de la mort. Je crois que peu de personne peuvent se vanter d’avoir été entourée comme tu l’as été. De partout, amis, famille, voisins venaient te rendre visite, parfois quotidiennement, parfois de loin. Moi bien sûr, j’ironisais déclarant que « Madame la mondaine tenait salon » mais je suis infiniment reconnaissant que tout ce petit monde ait pu, quelque peu, alléger les douleurs qui devaient être tiennes. J’ai pu moi-même découvrir ainsi des personnalités profondément humaines et altruistes qui m’ont fait me remettre en question. Je glisse au passage des remerciements affectueux à tout mes amis pour leur soutien ferme mais discret, soucieux ainsi de respecter ma pudeur émotive, oh qu’ils me connaissent bien. Papa, je ne t’appelle pas souvent comme ça, mais la bienveillance avec laquelle tu as accompagné Sylviane et moi-même ces derniers mois m’a profondément touchée. Alain, je sais que ta douleur est grande, j’espère que nous pourrons trouver l’un chez l’autre un soutien mutuel. A toi Maman, aussi je dis merci. Quelle mère aimante tu as été. Choyé, cajolé, comme un coq en pâte, le petit fils unique. Parfois un peu trop il faut le dire. Mais ça aussi, tu l’as doucement compris. J’aimerais te dire que ce cancer, pour horrible qu’il soit, n’aura pas été totalement absurde. Je pense qu’il m’a rendu plus fort, plus adulte. Il aurait pu me mettre en colère face à l’injustice de la vie, il m’a plutôt fait admettre qu’elle avait été bien clémente jusqu’ici avec moi.

  

   Je voudrais aussi dire quelques mots sur la peinture qui se trouve à côté de moi. C’est une peinture de Sylviane bien sûr. Sylviane a toujours eu un rapport ambigu avec sa passion, c’était un combat, un combat avec les couleurs, un combat avec la matière. Elle pouvait parfois passer des semaines sur une toile, superposant les couches, recommençant, grattant jusqu’à arriver à un résultat qu’elle trouvait acceptable. Ce tableau-ci, elle ne l’a jamais achevée. Mon père et moi, certains trouveront peut-être ça d’un goût douteux, avons pris la liberté de l’achever en y dessinant une spirale avec un peu de ses cendres. La spirale est le symbole du mouvement perpétuel, jamais en arrêt, toujours en chemin. Elle représente le cheminement de la vie, l’étincelle vitale sans cesse en action, l’accomplissement de soi, l’éternité. Voilà Maman, je garde de toi un petit bout d’éternité. Alors, parmi les qualités de Sylviane, celles de l’accueil et de la générosité me semblent incontestables. On va essayer d’être à la hauteur en vous invitant tous dans sa maison, rue Eigenhuis, car son désir après sa mort, plus que d’être pleurée, était d’être fêtée. Il faut que les gens s’amusent, me disait-elle. Ca ne va pas être facile, mais je vous propose tout de même d’essayer. A tout bientôt donc…

   

                                                                                                                   Ton fils, Nathan