Et un cercueil pour rêver

De Paul Gonze
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On devrait avoir plusieurs vies... pour se construire et hanter d'innombrables demeures d'éternité.


- Avoir une vie d'indien pour l'offrir au sommet d'une tour dont la plateforme verdoyante est supportée, jusqu'à hauteur des nuages, par quatre très longs, fins et souples troncs de peuplier, l'offrir, dis-je, au soleil afin d'être recuit, à la lune afin d'être blanchi, à la pluie afin d'être délavé, aux oiseaux afin d'être conchié, ainsi qu'aux jours et aux nuits afin d'être à jamais en dehors du temps;


- Avoir une vie de gaucho pour, dans un trou du désert du nord-est du Mexique, la fossiliser et se retrouver, tant que durera l'humanité, objet de curiosités dans une vitrine de musée de province aux cotés d'une jeune fille à la peau, la chevelure et la robe de mariée jaunies par les sables argileux et que son époux a du enterrer vivante comme en attestent les jolies perles de boue collées à ses cils;


- Avoir une vie de pharaon d'un empire galactique dans un lointain millénaire pour, embaumé, enrubanné, cloisonné dans un caisson d’iridium aux divines proportions, être propulsé à travers la nappe de l'espace-temps de trou noir en fontaine blanche dans l'illusion qu'à l'autre bout de l'univers, d'autres vivants me recueillant se persuaderont qu'il y a de la vie ailleurs;


- Avoir une vie de chien, avec faveur rose de joli toutou à sa dadame pralinée, avec collier clouté de vilain boule-dogue à son ange de l'enfer pétarisé, avec laisse diamantée de lévrier haut de gamme à sa rentière anorexique pour être mis en bière mieux que mes maîtres dans un cimetière plus parfumé et plus fleuri que le Père Lachaise;


- Avoir une vie d'esquimau grelottant du désir d'être avalé tout nu tout cru par un vagin denté au milieu de tous les blancs du pôle pour, trépassant de petite en grande mort, être balloté en hélicoptère au-dessus des frondaisons luxuriantes et verdoyantes de la forêt vierge puis parachuté en plein cœur du lac de lave du Niarakongo pour avoir une fois bien chaud avant de me retrouver en enfer;


- Avoir une vie de plasticien contemporain - version fin du XXème siècle - adepte de l'art corporel et du body painting pour être sublimé, par plastination, en chef d'œuvre au Musée des Beaux-Arts de Bruxelles entre une casserole de moules à la sauce tomate, un cochon tatoué de vierges Marie et une Cicciolina porcelanisé par un Jeff Koons puis dans la poussière d'une planète déssèchée;


-Et vivre chaque jour dans l'attente chaque nuit d'expirer de mille et une petites morts au nid du plus rose, du plus tiède, du plus parfumé des tombeaux... dans l'espérance de ressusciter avec l'aurore par la lumière de ton sourire.



... avec, à chaque fois, une même et unique certitude: celle d'être emmené en bateau...


... bien au-delà des mots, au-delà de l'immortalité, au delà de toutes les citations sur le temps perdu ou retrouvé