Langues de chat.te
Pour apprécier l'harmonieuse plénitude des arômes d'un Romanée-Conti, ne faut-il pas le laisser vieillir en cave pendant des décennies *? Le Parmesan Royal, le vrai de vrai, ne s'affine-t-il pas sur des étagères de chêne pendant plus de 36 mois? Le cake de Noël britannique ne s'imbibe-t-il pas dès le lendemain de la Fête des Rois et jour après jour pendant 355 jours, de rhum blond pour être encensé puis partagé au réveillon suivant? Si les œufs de mille ans n'ont pas cent ans, ne sont-ils pas néanmoins couvés pendant une demi-douzaine de semaines sous une croute de bouse, d'aiguilles de pins et d'aromates? Alors pourquoi ne perdriez-vous pas un peu de votre précieux temps à improviser tous les ingrédients d'un divin onguent dont votre douce et tendre pourra, quand vous serez appelé en mission à l'autre bout du monde et qu'elle aura à se consoler de votre absence, se réjouir pendant bien des lunes?
- Mais, pour ce faire, que faire?
D'une part, procurez-vous un gros tube de lait concentré sucré que vous transvaserez dans le plus gracieux des petits pots que vous aurez préalablement vidé d'une de ces mythiques crèmes de jouvence commercialisées par l'une des plus grandes marques internationales de cosmétiques, en prenant soin de ne pas en décoller l'étiquette originale.
- Mais que faire alors, pour bien faire, de la crème?
La donner à la doyenne de l'hospice communale! La récupérer comme huile de friture pour vos croquettes aux crevettes! L'utiliser pour graisser la chaine de votre vieux vélo! ... Que sais-je? Ce n'est pas moi mais vous qui allez partir à l'autre bout du monde...
- Mais pour qui faire?
D'autre part, adoptez un joli petit chaton. Qu'importe s'il est Angora ou de gouttière du moment qu'il se montre jouette, raffole de câlineries, se délecte de lait condensé sucré et est plus noir qu'une nuit noire! Éduquez-le - avec beaucoup de patience - à être propre mais surtout à jouer comme un petit fou sous les draps de votre lit. En y cachant, comme souris à débusquer, un petit bâtonnet enduit de votre délicieux lait concentré sucré qu'il ne pourra que lécher consciencieusement. Après une douzaine de répétitions, je vous parie qu'il sera accro à ce délice et n'hésitera pas à partir à l'aventure pour le savourer dans la pénombre de n'importe quels draps, surtout s'ils sont de soie et que vous les avez empruntés à votre soyeuse.
- La belle affaire, mais encore...
A l'aube de votre départ pour votre longue mission aux antipodes, alors que votre douce et tendre fond déjà en larmes à l'idée de devoir s'endormir seule, rendez-lui ses draps de soie et offrez lui, comme compagnon de ses nuits blanches, le gentil, joli petit noireaud et le si gracieux petit pot de pommade. En lui expliquant - la chose est délicate - que vous avez appris que l'efficacité du meilleur des élixirs de jouvence est décuplée quand il est appliqué - n'est-ce pas logique ? - à l'origine de la vie, donc sur ses grandes et petites lèvres ainsi que, bien évidemment, sur le nacré de sa perle d'amour? De préférence à l'heure où elle cherchera refuge dans les bras de Morphée pour se consoler de ne pas être entre les vôtres...
- Et qui me consolera de m'être fait refaire par un minou ? Vous !
Sauf si, au dos de la première carte postale que vous lui enverrez des antipodes, vous lui demandez de quel surnom votre chattelaine a affublé son chapucin ?
Bonne question: Pourquoi doit-il être noir, le chaton? Même si sa chatte est blonde ou rousse ? Par obsession démonologique! Le diable aurait en effet, selon diverses dépositions de sorcières obtenues sous la torture, une verge couverte d'une peau écailleuse de serpent. Ce qui, par simple glissement, faciliterait l'enconnage mais rendrait le déconnage déchirant! Le chat de même a une langue couverte d'aspérités cependant celles-ci sont si fines qu'elles la rendent râpeuse comme du papier abrasif de granulométrie P 600, celui qui sert à polir les marbres, même roses, les plus fragiles.
Post-scriptum: Quelques jours avant la mise sous presse du présent bréviaire, son rédacteur à reçu, par des voies qui ne peuvent être que divines, la carte postale reproduite en tête de la présente recette, fac-similé probable de la réponse sibylline donnée par la douce et tendre catin à son galant.
Petit explicatif du post-scriptum (extrait du dictionnaire raisonné des mots surannés et expressions désuètes): Diminutif bâti sur la base d’un redoublement de Paul, Popaul est généralement usité par l’homme auquel il est relié et sans lequel il n’a aucune capacité à exister. Popaul n’est pas en effet un être totalement autonome même s’il semble parfois prendre le contrôle de celui dont il ne serait théoriquement qu’un appendice opérationnel. Le fait que seul Popaul bénéficie d’une dénomination (a-t-on déjà vu un genou se faire appeler M'chou ou une oreille Mireille ?) dénote cependant son statut très particulier au sein du corpus organique. 'Popaul' n’est donc pas n’importe qui, ni surtout n’importe quoi. Tantôt gaillard, tantôt rabougri, Popaul a ses humeurs, souvent indépendantes de celles de la cervelle qui prétend le contrôler mais qui, notez-le au passage, aussi féministe qu’elle se prétende, s’appelle tout aussi simplement cerveau (car elle le vaut bien ?).